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French Literature

of the 19th & 20th Centuries

Marguerite Duras (1914-1996) : Explorer l'incertitude

L'oeuvre de Marguerite Duras a suscité, et continue de susciter, de nombreuses polémiques, entre l'admiration et la haine, l'encensement et le sarcasme. Ceci n'est pas étonnant si l'on considère la personnalité provocatrice et rebelle de cet écrivain et la nature de ses écrits, novateurs et exigeants. Duras a travaillé sur plusieurs genres, le roman, le théâtre et le cinéma, son style se prêtant volontiers à l'adaptation, à l'interprétation. L'extraordinaire succès de L'Amant, en 1984 (prix Goncourt, trois millions d'exemplaires, traduit en trente langues), ne doit pas faire oublier que Duras est restée jusqu'à l'âge de 70 ans un auteur assez peu lu, mais qui attirait un public de lecteurs fidèles, séduits par les touches simples et hermétiques d'une écriture qui explore la mémoire, les sentiments, les pulsions, l'amour et la haine, l'ivresse et la mort, le désir, le mensonge et la violence.

Marguerite Duras est née en Indochine, alors une colonie française, son père était professeur de mathématiques à Saigon, sa mère institutrice. Lorsque son père meurt, Marguerite n'a que quatre ans, mais sa mère décide toutefois de rester dans la colonie, avec les deux autres fils. La figure de la mère, courageuse et tenace, prend alors une proportion extraordinaire que Duras honorera plus tard dans au moins deux romans, Un barrage contre le Pacifique (1950) et L'Amant (1984). Duras arrive en France en 1931, à l'âge de 17 ans, où elle poursuit des études de droit et de politique à Paris. Elle demeure dans la capitale durant l'Occupation, de 1940 à 1944.

Alors qu'Un Barrage contre le Pacifique et Le Marin de Gibraltar (1952) observaient une facture romanesque assez classique, c'est avec Les Petits chevaux de Tarquinia (1953) et surtout Moderato Cantabile (1958) que Duras déploie ce style si particulier qui cultive l'ellipse, l'ambiguïté, et l'intuition. Les événements et les décors sont dorénavant réduits au minimum et le dialogue, direct ou indirect, devient un élément fondamental (Le Ravissement de Lol V. Stein, 1964; Détruire dit-elle, 1969). Les hésitations, les reprises nombreuses, les répétitions permettent d'insérer des zones de silence qui se rapprochent de la vérité de personnages incomplets, incertains. Ce niveau d'abstraction et la large ouverture de l'écriture au dialogue (y compris ses absences) ont facilement permis le passage des oeuvres au théâtre (Le Square, 1965; Des journées entières dans les arbres, 1968) et au cinéma (Hiroshima mon amour, 1959; India Song, 1975; Le Camion, 1977).

Au début des années 80, Duras s'oriente vers des oeuvres à caractère plus autobiographique (Les Yeux verts, 1980; L'Amant, 1984; L'Amant de la Chine du nord, 1991). Duras publie en 1993 Le Monde extérieur, puis en 1995 paraît son dernier ouvrage, intitulé C'est tout.

 

Le Dialogue du Square

Deux voix presque abstraites dans un lieu presque abstrait. C'est cela qui nous atteint d'abord, cette sorte d'abstraction : comme si ces deux êtres qui lient conversation dans un square - elle a vingt ans, elle est domestique; lui, plus âgé, va de marché en marché vendre des choses de peu de valeur -, n'avaient plus d'autre vérité que leur seule voix et épuisaient dans cette conversation fortuite ce qui reste de chance et de vérité, ou plus simplement de parole, à un homme vivant. Il faut qu'ils parlent, et ces paroles précautionneuses, presque cérémonieuses, sont terribles à cause de la retenue qui n'est pas seulement la politesse des existences simples, mais est faite de leur extrême vulnérabilité. La crainte de blesser et la peur d'être blessé sont dans les paroles mêmes. Elles se touchent, elles se retirent au moindre contact un peu vif; elles sont encore vivantes assurément. [...] Là, dans le monde simple du besoin et de la nécessité, les paroles sont vouées à l'essentiel, attirées uniquement par l'essentiel, et monotones, par conséquent, mais aussi trop attentives à ce qu'il faut en dire pour ne pas évier les formulations brutales qui mettraient fin à tout.

Maurice Blanchot, Le Livre à venir, 1959

© Denis C. Meyer-2009

 

 

 

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