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French

Eastern Narratives

Marco Polo

Marco Polo a passé 18 ans en Chine, à partir de 1271. Il rentre à Venise en 1295 et trois ans plus tard, alors qu’il est emprisonné à Gênes, il dicte le récit de son voyage en Chine à son compagnon de cellule. Ce récit a marqué l’imaginaire européen comme aucun autre texte.
        Dans ce passage, Marco Polo décrit la coutume tibétaine d’offrir les filles du village aux voyageurs de passage, afin qu’elles acquièrent de l’expérience. Plus une fille a eu d’amants de passage, plus elle est respectée et recherchée pour un mariage. A chaque fois qu’une jeune fille est acceptée par un voyageur, celui-ci lui remet un souvenir qu’elle garde comme preuve de son expérience. Lors de son mariage, elle offre ces présents à son mari et sa famille.
        Marco Polo conclut ce passage en invitant les jeunes Européens à aller en Chine pour profiter de cette coutume.

 

Femmes tibétaines
(1298)

Pour marier les femmes, les Tibétains ont une plaisante coutume comme je vous dirai. C’est vérité qu’en ce pays nul homme, pour rien au monde, ne prendrait pour femme une pucelle, disant qu’elle ne vaut rien si elle n’est pas déjà accoutumée à coucher avec bien des hommes. Et parfaitement ; une femme ou une fille qui n’a pas encore été connue par aucun homme, ils disent qu’elle est mal vue des dieux, ce pour quoi les hommes ne s’en soucient point et l’évitent, tandis que celles qui sont bien vues de leurs idoles, les hommes les désirent et les aiment. Et vous verrez comment se font épouser. Quand des gens arrivant de quelque autre pays passent par cette contrée, y ont planté leur tente, près d’un hameau ou d’un village, ou de quelque autre habitation, car ils n’oseraient point loger chez l’habitant, cela leur déplaisant, alors les vieilles femmes du village ou du hameau qui ont des filles à marier les mènent, et quelquefois par vingt, ou trente, ou par quarante ; elles les proposent aux hommes à qui mieux mieux, les suppliant de prendre leur fille et de la garder tant qu’ils resteront. Et les donnent à ces hommes pour qu’ils en fassent à volonté et couchent avec elles. Et ce sont les jeunes femmes qui ont le plus de succès ; les étrangers se les choisissent et s’amusent avec elles et les gardent tant qu’ils veulent ; et les autres, elles s’en retournent à la maison toutes penaudes. Mais ils ne pourraient en emmener aucune dans leur pays, ni en arrière, ni en avant.

Et quand les hommes ont fait leurs quatre volontés avec elles et qu’ils veulent reprendre leur chemin, il est coutumier qu’ils donnent quelque petite chose, un bijou, un anneau, une médaille quelconque, aux filles avec lesquelles ils ont eu jeu ; car ainsi, quand elles viendront à se marier, elles pourront présenter la preuve qu’elles ont été aimées et ont eu amants. Voilà pourquoi c’est la coutume que chaque pucelle porte au cou vingt colifichets ou médailles, pour montrer que bien des amants et hommes ont eu jeu avec elles. Dès qu’une petite a gagné une médaille, elle se la pend devant la poitrine et s’en va contente avec son cadeau ; ses parents la reçoivent avec joie et honneur, et bien heureuse est celle qui a reçu le plus de présents du plus grand nombre d’étrangers. Celle-là, on la tient en haute estime et on l’épouse plus volontiers, disant qu’elle est plus que les autres dans les bonnes grâces des dieux. Plus riche dot ne sauraient-elles offrir à leur époux que tous ces présents reçus des voyageurs ; on ne les estimerait nullement, au contraire, on les mépriserait, celles qui ne pourraient pas montrer leurs vingt médailles, prouvant qu’elles ont été avec vingt voyageurs. A la célébration des noces, elles présentent à chacun leurs médailles et cadeaux. Quant à celle qui tombe enceinte, l’enfant est élevé par celui qui épouse la fille, puis héritier dans la maison tous comme les autres nés ensuite. Mais attention : quand ils ont pris une femme de cette sorte, ils y attachent grand prix et trouveraient abominable que l’un d’eux se permît de toucher la femme d’un autre, et s’en abstiennent tous grandement.

Or vous ai conté de ces mariages ! Et c’était bon à raconter. N’est-ce pas qu’en cette contrée, nos jeunes gentilshommes de seize à vingt-quatre ans feraient bien d’aller faire un tour ? Ils y auraient des filles en veux-tu en voilà, et on leur demanderait de les prendre gratis !
 

Le Devisement du Monde ou Le Livre des Merveilles (1298)

 

 

© Denis C. Meyer-2009

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